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rebecca dautremer

les riches heures de Jacominus Gainsborough

Publié le par Za

les riches heures de Jacominus Gainsborough

J'ai toujours un moment d'arrêt avant d'ouvrir un album de Rébecca Dautremer. Comme une timidité mêlée d'avant-joie parce que je sais que ça va être bien, que je vais y revenir, y passer du temps. D'ailleurs, je ne l'ouvre pas si je n'ai pas un minimum de temps devant moi. C'est bien le moins. Et puis, il ne faut pas oublier le temps nécessaire à l'après lecture, le moment du "pfiouuuuuuu", "la vache !", "eh ben dis-donc !", le temps de se remettre...
Dans le cas des Très riches heures de Jacominus Gainsborough, on aura aussi besoin d'y retourner pour fouiller, scruter le détail, humer l'ambiance, oublier l'histoire pour se promener dans le livre comme dans une exposition, puis retourner à l'histoire, menue et universelle.
Dans l'introduction de cet album, Rébecca Dautremer s'adresse à son lecteur, petit ou grand. Elle rassure le lecteur adulte : oui, ce livre d'images est fait pour lui. Et c'est bien l'art de cette immense dessinatrice que de réunir les générations, de ravir les petits, d'émerveiller les grands.

Bien sûr, comme à chacun de nous, une place était destinée à Jacominus dans ce monde.
Il lui fallut du temps pour en être sûr.
Et encore davantage pour la trouver.

les riches heures de Jacominus Gainsborough

Pour la première fois, Rébecca Dautremer raconte l'histoire d'un animal en l'humanisant, dans un monde d'animaux sur leurs deux pattes, vêtu d'habits chatoyants, dans un style de début de XXème siècle. Jacominus naît entouré, très entouré même, famille, amis, présents sur les somptueuses doubles pages qui donnent une profondeur inouïe à ce récit de vie. Le mignon lapin débute dans la vie par un accident, qui le laisse marqué mais ne l'empêchera pas de mener une vie à sa mesure. Rien de grandiose, mais un destin troublé par son époque.

les riches heures de Jacominus Gainsborough

Le rythme du récit est donné par l'organisation de l'album : l'alternance de pages de texte illustrées à gauche par un portrait de Jacominus qui grandit, vieillit, deux sections présentées comme des pêle-mêle, puis de doubles pages accompagnées d'un texte bref calé au-dessous. Et ce sont bien sûr ces pages-là qui coupent le souffle, qui ralentissent considérablement la lecture - mais pour la bonne cause. Tellement qu'on se promet de relire le texte depuis le début. On peut jouer au jeu des références : Brueghel, Bosch... Mais c'est la maîtrise technique qui époustoufle, l'intention derrière la virtuosité. Jamais de mièvrerie mais de la douceur. L'amour, la nostalgie, le courage, la tristesse, la beauté de la nature, tout est ici parfaitement traduit.
Les très riches heures de Jacominus Gainsborough est une nouvelle pierre sur le chemin des lecteurs fidèles de Rébecca Dautremer ou une parfaite entrée en matière pour les autres. Le Cabas lui décerne le statut d'ALBOOM! - un truc qui n'arrive pas tout les quatre matins.

les riches heures de Jacominus Gainsborough

Les très riches heures de Jacominus Gainborough
Rébecca Dautremer
Sarbacane, 2018

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Cavale & Une histoire d'amour

Publié le par Za

Dans les catégories d'âge qu'on attribue parfois aux livres, vous connaissez bien entendu la littérature dite young adult, à mi-chemin entre ado et adulte. Entrons aujourd'hui, lecteur fidèle (et patient), dans la littérature old child, autrement appelée je-lis-encore-des-albums-et-alors ? En temps qu'ancien enfant, je me sens parfois chouchoutée par les auteurs-illustrateurs d'albums jeunesse, au point de m'en croire seule destinataire. Non pas que les ouvrages dont il va être question ne sont pas destinés aux enfants, loin s'en faut. Mais l'adulte qui les lit loin de toute contingence enfantine, y trouvera grandement son compte.

Cavale & Une histoire d'amour

Cavale d'abord. Mais qu'elle est énigmatique cette couverture ! La citation de Christian Bobin placée en exergue ne l'est pas moins. Habitués aux couleurs de Rébecca Dautremer, nous voici dans le sépia, dans l'ombre. Le bien nommé Cavale court sans cesse. Il court de peur que Fin ne le rattrape. Ce n'est pas lui sur la couverture, le petit homme sous le grand chapeau, c'est Maintenant. Il est l'enfant de Cavale et de Montagne, la seule qui a réussi, de manière un peu brutale, à arrêter la folle course. Le dessin s'étend en pleine page ou se fractionne en séquences, donnant l'impression du mouvement.

Cavale & Une histoire d'amour

Le texte métaphorique de Stéphane Servant se lit discrètement, en orange sur fond blanc, se met parfois en retrait, laissant à l'image plusieurs doubles pages de suite avant de reprendre sa place. Le dessin court et le texte pose le temps de la réflexion. Aux images l'action, les cris, aux mots la mise à distance de la peur et de la fuite. Car Cavale fuit du haut de ses quelques paires de jambes, il fuit devant Fin l'inéluctable. Cette belle leçon de vie, à qui est-elle destinée ? Doit-on l'accompagner d'une explication de texte, au risque de l'affadir ? Ne serait-il pas plus juste de laisser la compréhension du jeune lecteur en l'état, aux prises avec les évocations qui lui seront accessibles, jusqu'à une prochaine lecture différemment éclairée, jusqu'à une lecture de young adult ou d'old child ?

Cavale
Stéphane Servant & Rébecca Dautremer
Didier Jeunesse, octobre 2017

Cavale & Une histoire d'amour

Dans le bestiaire Bacheletien, on connaissait l'éléphant le chat, l'autruche, le champignon, l'escargot... Voici le gant. Mais pas n'importe lequel. Le gant domestique, celui qui ne sort jamais dans la rue, le mal aimé, voué aux pires travaux, à la sale ouvrage : le gant Mapa (petit R dans un rond).
Georges et Josette se rencontrent à la piscine, tombent amoureux, se marient, ont des enfants, des hauts et des bas, une vie entière de gants ménagers dans le confort d'un intérieur bourgeois et de bon goût - il n'est qu'à voir la toile de Jouy recouvrant les murs. Rien de plus banal que cette histoire me direz-vous. Mais à en juger par le temps passé à scruter chaque page et les rires ponctuant cette lecture jubilatoire, rien n'est ici banal. Le souci du détail dont Gilles Bachelet pare chacun de ses albums est, à mon sens, la plus belle marque de respect que le dessinateur destine à son lecteur - et à sa lectrice, c'est à dire moi. Tout cela fourmille de références trempées dans l'absurde, de clins d’œil aux précédants albums, de marques de connivence envers les Bacheletophiles, sans pour autant laisser sur le bord du chemin les primo-Bacheletiens.

Cavale & Une histoire d'amour

Je pense cependant, et je ne crois pas m'avancer, que le lecteur d'âge minuscule, à partir de 7 ou 8 ans, et pour peu qu'on lui ait fourni un début de sens de l'humour, ne manquera pas de se bidonner devant l'éclosion des petits canards wc, l'enthousiasme de la brosse de compagnie, et pour peu qu'il ait le sens du détail, la collection de cravates de Georges devrait le mettre en joie.

Une histoire d'amour
Gilles Bachelet
Seuil Jeunesse, novembre 2017

 

Cavale & Une histoire d'amour
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une bible

Publié le par Za

une bible

Evidemment que je ne l'ai pas lu ! 385 grandes pages, 3 bons kilos. Vous pensez bien que ce n'est pas le genre d'objet auquel on s'attelle un soir en annonçant : "bon allez, je m'y mets !" Mais si j'attends de l'avoir terminé, vous aurez une longue chronique dans quelques années... Alors je vais le chroniquer comme je vais le lire, à petite dose, et dans le désordre, forcément.

J'étais curieuse de savoir comment Philippe Lechermeier et Rébecca Dautremer avaient traité la Nativité. La créature de la couverture, entité mécanique aux plumes indiennes rencontre la jeune Marie. Il n'est pas un ange mais un homme oiseau.

une bible

Et c'est une belle histoire qui court de l'humble étable aux palais somptueux des Mages, dans une langue fluide et évidente. L'homme oiseau accompagne les protagoniste, les pousse les uns vers les autres.

Quand il fut bien loin, tellement loin qu'aucun homme, même en grimpant au sommet de la montagne la plus élevée, même en ouvrant les yeux très grands, n'aurait pu porter son regard jusque-là, il sut qu'il était arrivé.
Par une fenêtre, il pénétra dans une somptueuse demeure.
C'est la que vivait Melchior, le grand magicien persan.

Les images de Rébecca Dautremer se parent alors d'une sobriété émouvante. L'enfant dort dans les bras de Joseph qui le regarde, il est blotti dans le cou de sa mère, il sommeille, la tête penchée. Autant de polaroïds, de moments silencieux qui contrastent avec l'arrivée en fanfare des trois Mages, toutes couleurs dehors, la large tête d'un éléphant peint renvoyant aux profils modestes de l'âne et du boeuf. Tout cela est époustouflant.
Et ce n'est qu'un début...

une bible
Philippe Lechermeier & Rébecca Dautremer
Gautier Languereau, 2014

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Баба-Яга / baba yaga # 2

Publié le par Za

Babayaga n'avait qu'une seule dent.
Et c'est probablement cela qui l'avait rendue si méchante
.

Ainsi débute le texte de Taï-Marc Le Thanh, qui plonge dans l'enfance de l'ogresse à la recherche de ce qui avait bien pu gâter son caractère. En butte aux moqueries de ses camarades, la petite Babayaga, bien seule, choisit une option un brin radicale : elle deviendra ogresse. Ogresse et solitaire.

Баба-Яга / baba yaga # 2

Oh, elle a bien ouvert un restaurant, dont le nom poétique mettrait l'eau à la bouche à bien des croque-mitaines : "Au bambin qui rissole"... Toutes les étapes du conte sont là, la petite Miette doit échapper au chat, aux chiens mal embouchés, à l'arbre entreprenant. Mais c'est un crapaud qui la conseille. Et Babayaga, bien qu'affamée, finira l'histoire bien piteusement.

Баба-Яга / baba yaga # 2

Rébecca Dautremer enrobe cette histoire de ses rouges si reconnaissables, mais aussi d'ombres tout à fait angoissantes. Miette a les rondeurs d'une matriochka. Elle traverse cette aventure comme si elle connaissait déjà la fin de l'histoire, presque avec sérénité. Son allure en fait le pendant enfantin de Babayaga, ce qu'elle aurait pu être si elle avait eu d'autres dents...

Le texte prend des libertés salvatrices avec le conte original, y glisse des traits d'humour, humanise la sorcière, là où elle est habituellement une créature purement malfaisante mue par son appétit. Elle a finalement l'air aussi malheureuse que cruelle.

Babayaga

Taï-Marc Le Thanh & Rébecca Dautremer

Gautier-Languereau, 2003

 

 

Depuis le Bal des échassiers, on l'attendait. On trépignait même un peu. Bien fait pour lui. Il fallait pas commencer si fort, si beau. Alors, il ressemble à quoi, le nouvel Echegoyen ?

Баба-Яга / baba yaga # 2

Paul Echegoyen transforme Baba Yaga en araignée avide et patiente, tissant sa toile telle une broderie précieuse, autour de Vassilissa. On passe sans transition de la lumière dorée jouant dans les cheveux de la blondinette aux joues roses à la forêt sombre où seules quelques lueurs vous fixent de leurs regards inquiétants. Mais dès que l'on pénètre dans le monde de l'ogresse, le dessin gagne en profondeur, en matière. Les détails apparaissent, fourmille, inquiètent. Et au milieu trône une créature qui n'a rien d'humain. Pas plus que la servante, d'ailleurs, verte bestiole aux grands yeux émerveillés. Rien ne ressemble plus à quoi que ce soit de connu.

Le grand format de l'album permet au lecteur de s'immerger dans cet univers qui fait la part belle aux motifs des tissus, où tout - branches, cheveux - se transforme en fibre qui pourrait être tissée, brodée, jusqu'à l'étouffement.

Le texte de Claude Clément suit la trame du conte, dans une langue classique qui tangue parfois au balancement de rimes discrètes.

Soyons sûr qu'il n'y aura pas que le Cabas à attendre le prochain Echegoyen...

Baba Yaga

Claude Clément & Paul Echegoyen

Seuil Jeunesse, 2013

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