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fata morgana

la fin du monde en avançant

Publié le par Za

Il y a des jours embués, bouchés, où chaque acte se cogne à l'inutile, où chaque pensée se dissout d'elle-même. Généralement, c'est le dimanche. La consolation, si fugace fut-elle, est venue ce jour-là de quelques phrases. D'un rythme implacable, impeccable, de mots dont on ne peut se rassasier qu'en les lisant à voix haute.

J'ai déjà parlé ici de l'incrédulité qui me saisit à chaque lecture de Pierre Bergounioux. De ce bonheur que j'ai à y retourner, toujours. Eh bien là encore...

en-avancant_.jpg

Ce livre m'a été offert par une personne avec qui je "partage" Pierre Bergounioux. C'était un cadeau inattendu, il n'en est que plus précieux. Merci, encore.

 

Parmi les textes qui composent ce recueil, ceux qui m'ont touchée l'ont fait non pas tant par leur sujet que par le galop des idées et le martellement des phrases.

 

bergounioux.jpg

Le bonheur, quand j'y pense, c'est sous des espèces désuètes aux couleurs fanées que je l'envisage. Lorsque je l'éprouve, si c'est bien lui, si le terme s'applique à ce que je ressens, c'est, ce serait un fugace rayon tombé du ciel couvert, une mince langue de sable au milieu du flot, une intermittence précaire dans le tumulte et le déplaisir. Le tout, longtemps, s'est tenu à l'écart de nos vies. Puis ce fut un impalpable clarté sur leur bord. Puis il a touché la terre où il s'est établi à demeure. (Des rôtis brûlés et des gâteaux mal cuits)

 

 

Nous avons peu de part à ce qui nous arrive. Nos intimes penchants et nos hantises, notre particularité, nos bizarreries, même, c'est la réalité qui nous les dicte. Ils sont l'effet induit de quelque chose qui dépasse infiniment nos courtes personnes, notre brève saison, du heurt fracassant - pour ce qui nous concerne - de l'anachronisme dont nous sommes encore dépositaires avec le présent, l'universel, la modernité. Le monde ancien s'éloigne. Ce qui s'apprête, derrière le rideau, sur la scène du troisième millénaire, je m'en moque un peu. Je suis du Pays Vert, d'un autre âge et l'on n'est qu'une fois. La suite ne m'intéresse pas. (Sur une chaîne d'attache) 

 

Parfois, la musique du texte est telle que l'on se retrouve à répéter quelques mots, pour en savourer le goût jusqu'au bout, se délecter de l'image, de l'alexandrin qui clôt le chapitre.

 

Derniers représentants d'une heure immobile et d'un lieu séparé, nous sommes les premiers à avoir rallié la marche de l'humanité sur les routes du monde. De là l'étrange porte-à-faux où nous sommes placés, les choses auxquelles nous sommes attachés parce qu'elles nous ont faits ce que nous sommes, ont disparu tandis que ce qui, paraît-il, se produit, reste sans répondant, sans écho véritable dans nos âmes ombreuses et nos coeurs surannés. (Sur une chaîne d'attache)

... dans nos âmes ombreuses et nos coeurs surannés...

                    ... dans nos âmes ombreuses et nos coeurs surannés...

                                      ... dans nos âmes ombreuses et nos coeurs surannés...

 

Bergounioux manie la langue en artisan. Il l'approche avec circonspection, la travaille, la polit avant de l'offrir au lecteur avec une considération un respect comme on n'en rencontre finalement peu souvent. Loin de souffler dans le vide, loin de sculpter pour une caste, Bergounioux emporte celui qui le lit vers des régions rarement visitées, sans pour autant chercher à l'essouffler en route. Plutôt qu'un artisan, nous avons à faire à un guide de haute montagne qui aurait le don d'aplanir le chemin.

 

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