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grasset jeunesse

deux filles chez Grasset Jeunesse

Publié le par Za

deux filles chez Grasset Jeunesse

Mais quel titre ! Ma sœur est une brute épaisse !
Immédiatement, on pense à quelqu'une qu'on a connu, qu'on côtoie, à sa propre sœur, voire même à soi, c'est selon.
La sœur en question, on la trouve d'abord sur la couverture, l'air décidé, les poings sur les hanches. Le narrateur, un mignon bien tranquille aux cheveux joliment fluos voit sa vie chahutée par cette petite sœur bien remuante. Chaque moment de tranquillité est troublé par cette tornade tonitruante, goulue, éclaboussante, renversante, en un mot pénible, en un autre mot vivante. Mais finalement, n'est-elle pas rassurante, par sa simple présence ?

deux filles chez Grasset Jeunesse

Une petite fille aussi radicalement turbulente, ce n'est pas si souvent qu'on en rencontre dans les alboumes. Il y a eu de célèbres précédentes dans la bêtisette et la liberté, de Sophie et ses malheurs à l'incomparable Fifi Brindacier. Le frère est, lui, un exemple de sagesse. Voilà qui est bien agréable pour chacun : on a le droit d'être un garçon calme, qui aime lire et déguster ses petits-beurres en commençant par les coins; on a le droit d'être une fille et de vivre à cent à l'heure, de manger salement, de sauter dans les flaques.
Les découpages vitaminés de Sandrine Bonini rendent à merveille le mouvement des personnages, leurs disputes avant le retour au calme.

Ma soeur est une brute épaisse
Alice de Nussy & Sandrine Bonini
Grasset Jeunesse, mai 2018

deux filles chez Grasset Jeunesse

Hello ! Moi, C'est Suzie.
Ce que j'aime, c'est aider.
En fait, je suis la meilleure aideuse du monde.

Suzie, son truc, c'est aider, prendre des initiatives. Partout et tout le temps, elle aide. Elle fait aussi dans le genre remuant, une idée à la minute, faire les courses, les déballer, organiser, ranger, maquiller mamie et coiffer papy pendant leur sieste... Et tout cela dans le but de bien faire, évidemment !
Le contraste entre le texte à la première personne - qui traduit les intentions de Suzie, et les images qui montrent les résultats de ses actions, est tout à fait réjouissant. On s'amuse franchement à voir la petite demoiselle bouleverser le calme de sa famille, y apporter du piment. Les personnages sont croqués très simplement, au plus près de l'expression, du mouvement. Le dessin va au plus efficace dans une économie de détails et une palette de couleurs joliment contrastée.
Ces deux albums sont finalement complémentaires - le premier dans un genre pop et très contemporain, le second sur un versant plus humoristique.

Suzie
Sophy Henn
Grasset Jeunesse, janvier 2018

 

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Miss Pook

Publié le par Za

Miss Pook
Miss Pook

- Voyons, voyons mon Cabas chéri... Depuis combien de temps n'avons-nous pas ici évoqué un roman de Bertrand Santini ? [Oui, je voussoie mon cabas. Cela met de la distance tout en exprimant le respect que je lui porte.]
- Deux mois, quasiment jour pour jour.
- Et en voici déjà un autre ! Quelle année ! Que diriez-vous de celui-ci, Cabas joli ? [Je l'avoue : le Cabas lit les livres avant moi.]
- Euh...
- Vous hésitez ?
- Il faut avouer que celui-ci est pour le moins inattendu.
- Mais encore...
- Eh bien, tout commence comme dans Mary Poppins. C'est une référence assumée, mais pour mieux la dynamiter. Miss Pook lui ressemble furieusement, si ce n'est que l'action se situe à Paris en 1907. Elle prend ses fonctions de gouvernante dans une maison bourgeoise du quartier du Marais. Et c'est là que l'histoire dérape. Car Miss Pook est une sorcière, une Mary Poppins punk. Elle enlève Élise, la fille dont elle a la charge et l'emmène sur la Lune où les attendent d'autres pensionnaires pour le moins inhabituels.
- La Lune ? En 1907 ? Vous divaguez, Cabas !
- Je viens de dire qu'elle était sorcière. Si vous m'écoutiez de temps en temps... Elles gagnent ensemble la Lune sur le dos d'un dragon chinois, un de ces cerf-volants de papier. C'est ce que l'on voit sur la couverture du livre. L'image est signée de Laurent Gapaillard qui, une fois de plus, ne s'est pas moqué du monde, si vous voyez ce que je veux dire.
- Je vois, Cabas adoré, je vois très bien ce que vous voulez dire. Et une fois sur la Lune ?
- Une fois sur la Lune, c'est du Bertrand Santini tout craché ! Vampires, faune, créatures, et d'autres sorcières encore, roulant les R comme chez Roald Dahl [Z'avez-vu ? Le Cabas a des références.] On tombe de Charybde en Scylla lunaires, c'est Élise au Pays des Horreurs !
- Ça va aller, les références, Cabas ? Point trop n'en faut, siouplé.
- Point trop n'en faune.
- [Accablement]
- La relation entre les parents et leur progéniture est au centre de ce roman, le prénom des sorcières ne trompant personne. Mais je m'en voudrais de trop en dire. Sachez seulement qu'on retrouve ici ce qui vous plait tant dans les romans de Bertrand Santini : ce style à la fois limpide et précis, un humour ici en demi-teinte et quelques clins d’œil qui sauteront aux vôtres.  Vous apprécierez en passant - page 8 - la présence d'un de ces zeugmas qui fait votre joie. Il faut enfin que je vous dise que Fiston a dévoré ce roman en un temps record et a bien remarqué la mention "Fin de l'épisode 1". Il est au comble de l'impatience, tout comme moi ! Je ne saurais donc trop vous conseiller cette formidable histoire !
- Merci Cabas.
- De rien, ma vieille !

Miss Pook et les enfants de la Lune
Bertrand Santini
illustration de couverture : Laurent Gapaillard
Grasset Jeunesse, novembre 2017

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Hugo de la nuit

Publié le par Za

Hugo de la nuit

Alors, le nouveau Santini, il est comment ?
Parce qu'on en est là. Depuis le Yark, Jonas ou le Journal de Gurty, on sait que cette seule signature est la garantie d'un excellent moment passé avec un livre comme un rendez-vous avec un excellent ami.
Commençons par la couverture. Elle est pas magnifique, la couverture ? Ces couleurs, ce dessin en ombres chinoises, délicat comme pas deux. Et ce fronton orné d'animaux nocturnes élégants, souligné d'une lampe/lune inattendue, c'est pas une splendeur ? Un véritable écrin ?

Hugo de la nuit

Mais je digresse, je préambule. Alors tout d'abord, sachez que votre dévouée Za n'a pas du tout la culture du film / du livre qui fait peur. Mais alors pas du tout. Et ce simple détail de la couverture aurait suffi, en d'autres temps, à me refroidir.

Hugo de la nuit

Mais je te suis, ô lecteur, toute dévouée - c'est écrit plus haut. Alors, j'ai bravé ma peur de la-main-crispée-crochue-qui-sort-du-sol et j'ai ouvert ce roman. Pour ne plus le refermer.

Hugo aurait dû ressentir de la peur, de la terreur même, à planer au-dessus du monde dans les bras d'un fantôme. L'enfant n'éprouvait pourtant qu'un sentiment d'abandon, tout au plus teinté d'une vague appréhension.

Hugo est un garçon de douze ans moins un jour, entouré de parents, d'une nourrice (grandiose), d'un chien, d'amour. Mais, car il y a un hic, voilà qu'une sombre - mais alors très sombre - affaire fait exploser la quiétude provençale et l'embarque - et nous avec - dans un tourbillon fantastique au sens propre du terme.
Vous avez lu L'étrange réveillon, un album de Bertrant Santini et Lionel Richerand, dans lequel des fantômes excessivement sympatiques sont invités à un banquet de fête ?

Hugo de la nuit

Eh bien, j'ai eu la très agréable impression des les retrouver, ces spectres. Mais en mieux. Je serais tentée de dire en plus vivant, s'ils n'étaient aussi franchement décédés. Ils sont magnifiques, ces fantômes : amoureux, touchants, truculents, tordants, un peu foldingues, terriblement savoureux. Ce sont eux, les véritables héros de ce roman. Bertrand Santini leur offre des chapitres d'une fraicheur jubilatoire. Chacun d'eux est traité par leur auteur avec bienveillance et amicale moquerie. Mention spéciale au Père Poudevigne, mon préféré...

"Benezet Trophime, dit Père Poudevigne. Disparu le 1er Aprilis 1503 à l'âge de quarante et un ans !
Cause du décès : Mort par noyade dans un tonneau de vin blanc."

Chacun de ces fantômes est une histoire en soi. Nicéphore, Dame Betti, Gertrude, Adélaïde, Cornille, Poudevigne, une petite société de morts s'étripant joyeuse autour d'une hypothétique poêlée de champignons, de scènes de ménage éternelles, de fous rires nerveux, d'amour maternel étouffant. Tout cela rend la mort bien douillette et finalement moins terrible que la vie.
Il y a aussi les zombies, juste affreux comme il faut - j'ai assez bien supporté, merci - avides, goulus, des zombies, quoi.
Au jeux des références, où seul Bertrand Santini aurait le dernier mot, derrière Kubrick, Shakespeare, Scoubidou, Gremlins, et d'autres choses horrifiques que je me refuse à entrevoir, il me vient encore un auteur qui m'a sauté aux yeux, à la mémoire, au coeur, avec ce passage :

En reprenant de l'altitude, il aperçut sa maison. "Qu'elle est petite !" songea-t-il, presque dans un rire. "Comment ai-je pu tenir là-dedans ?"

Allez, je vous raconte ma vie cinq minutes. Quand j'étais petite, il y avait chez moi un gros coffret de 33 tours (on dit vinyles, aujourd'hui). C'était Les lettres de mon moulin d'Alphonse Daudet, lues par Fernandel. Un chef d'oeuvre d'intelligence. Et de trouille aussi. Qui n'a jamais entendu la fin de La chèvre de Monsieur Seguin par Fernandel ne sait rien des terreurs enfantines et vespérales - parce qu'on n'écoute jamais ce genre de trucs le matin, allez savoir. Et pourquoi La chèvre de Monsieur Seguin ? Pour ça :

Une fois, s'avançant au bord au bord d'un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.
"Que c'est petit ! dit-elle; comment ai-je pu tenir là-dedans ?"

Et puis il y a l'emprunt des noms, comme un hommage, Cornille, Gringoire, ou l'esprit du texte, L'élixir du révérend père Gaucher et Les trois messes basses où le fameux Poudevigne pourrait se balader à l'aise.... Alphonse Daudet donc.
Et puis des noms qui sonnent doucement à mon oreille, Bouffarel - ici bien peu angélique... Et que dire d'Aza, cette merveille de nourrice, de ces gens qui ne peuvent aimer sans rouspéter. Elle, dans mon petit cinéma de lectrice, c'est l'Honorine de Marius - la sublime Alida Rouffe. Ces références ne bouleversont pas le jeune lecteur de 12 ans et + préconisé sur la quatrième de couverture. Mais ils font aussi la profondeur de cette histoire, la manière inimitable de raconter les histoires qui fait la patte de Bertrand Santini.
Alors, oui, Hugo de la nuit est un roman haletant, hilarant, effrayant, mais pour moi, c'est un livre tendre. Tendre comme la chair sous la dent acérée du zombie affamé, tendre comme les engueulades pagnolesques d'Aza, tendre comme une léchouille de Fanette - Gurty, on t'a reconnue !
Donc, pour résumer cette chronique beaucoup trop longue, Hugo de la nuit est désopilant, très bien écrit, flippant, terriblement attachant. Lisez-le ! Et comme ce samedi c'est la  Journée mondiale du livre et du droit d'auteur, achetez-le ! 

Hugo de la nuit
Bertrand Santini
Grasset Jeunesse, avril 2016

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Aujourd'hui, Amos

Publié le par Za

Aujourd'hui, Amos

Voici un texte.
Non pas que je minimise l'impact des images de Janick Coat. Loin de là. Mais la musique du texte d'Anne Cortey saute immédiatement aux oreilles.

Un voile de brume
s'est abattu sur la maison.
Au-delà du marronnier,
Amos ne voit plus rien.
La maison est repliée sur elle-même.
Le blanc a chassé les reliefs.

Un petit format carré, discret, le genre qui se glisse partout, sur lequel on retombe par hasard au détour d'un magazine ou d'une pelote de laine - je vis dans un certain désordre, que je qualifierai évidemment de créatif.
Amos appréhende le monde en candide généreux. Il vit chaque instant avec cette dose de naïveté, de perplexité qui le conduit tout naturellement à une vision poétique des choses. Le hibou sert ici de contrepoint et révèle, en l'admirant, la particularité d'Amos.

Amos se tient devant la fenêtre.
Il ne bouge pas, il attend,
il ne sait trop quoi.
Il attrape son carnet et se met à écrire.
"Le brouillard a réveillé l'ennui.
Il faudrait un balai pour le chasser."

Les paysages de Janick Coat sont à la fois étranges et familiers. Amos y balade tranquillement son petit air perpétuellement étonné, sa bouille irrésistible - ah, le bonnet à rayures...

Aujourd'hui, Amos

(J'ajouterai également une mention spéciale pour l'épatante cagoule du hibou dont on imagine sans peine qu'elle gratte un petit peu.)

Aujourd'hui, Amos

La maison est un hâvre douillet, tout en rondeurs, sans un angle droit qui heurte. L'économie de la couleur, le velouté du crayon, tout concourt à donner au lecteur l'envie irrépressible d'une poêlée de champignons au coin du feu.

Aujourd'hui, Amos

Tout d'abord édité par les très regrettées éditions Autrement Jeunesse, Amos trouve aujourd'hui chez Grasset un écrin sur mesure.

Aujourd'hui, Amos
Anne Cortey & Janick Coat
Grasset Jeunesse, 2016

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le Noël blanc de Chloé

Publié le par Za

Quand on est une petite fille courageuse et futée, rien n'est impossible.

(il est pas beau, le cabas du Cabas ?)

(il est pas beau, le cabas du Cabas ?)

le Noël blanc de Chloé

En cette veille de Noël, il fait chaud à Québec. Tellement chaud que les moufles sont inutiles. Pas le moindre nuage à l'horizon. Rien. Un hiver qui ne vient pas. André Marois aurait-il des dons de voyance, serait-il en cheville avec une super agence méto qui aurait tout prévu ? Allez savoir. Mais tout cela ne fait pas l'affaire de Chloé. Parce que si l'hiver ne vient pas, qui sait si le Père Noël, lui, sera au rendez-vous ? C'en est trop pour la petite fille qui décide d'aller chercher l'hiver où il se trouve, cap au Nord !

le Noël blanc de Chloé

Tout l'imaginaire de Chloé est là, dans ce voyage, embarquée par les harfangs des neiges, comme Nils Holgersson à dos d'oie sauvage. Et la petite fille se démène, traverse l'album avec son manteau rouge, absorbée par sa tâche, courant, sautant, ne délaissant l'action que pour se livrer à  une intense réflexion. La belle (et fausse) simplicité du dessin, le style inimitable d'Alain Pilon, les aplats de couleurs passant du bleu du ciel au noir de la nuit, au blanc de la neige enfin au rendez-vous, tout cela rend le rêve palpable. Car c'est le courage et l'obstination d'une toute petite fille qui ramènent enfin l'hiver, qui remettent un peu d'ordre et de joie dans cette insupportable attente.

le Noël blanc de Chloé

Après Lettres à mon cher petit frère qui n'est pas encore né, Alain Pilon nous offre un merveilleux conte d'hiver, entre rêverie et aventure échevelée.

Le Noël blanc de Chloé
André Marois & Alain Pilon
Grasset Jeunesse
Octobre 2015

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le panier à pique-nique

Publié le par Za

le panier à pique-nique

Le goût de l'album, du beau livre illustré, lorsqu'on le conserve en étant adulte, c'est sans doute pour la promesse d'émerveillement, pour ce moment délicieux où l'on tient entre les mains un bel objet, fermé encore. Devant la couverture, on fait durer encore un peu le plaisir, parce que cette frimousse rouge, attentive, ce hérisson glouton, le trait, les couleurs, on sait d'avance qu'on risque de se régaler. Avec le temps, on commence quand même à se faire une petite expérience. Et cet album-là nous emmène au-delà de la dite expérience.

le panier à pique-nique

C'est une histoire simple et universelle. La petite rouge en robe jaune découvre un jardin tout en géométrie délicate, en superposition de couleurs inattendues, un jardin qui aurait pu être dessiné par Charley Harper. Ce jardin a un jardinier, ce jardinier a un panier à pique-nique dans lequel la petite va chaparder des mets succulents, préparés avec amour. Ce sont des choses qui ne trompent pas. La nourriture préparée avec amour est différente. Et si elle réparait son emprunt en préparant à son tour un pique-nique ? 

le panier à pique-nique

De ce jeu bienveillant nait une complicité discrète, sans mot. On fait connaissance à distance, on s'apprivoise l'air de rien, et tout se met en place, une pierre puis l'autre, un regard, un cadeau. Les grands aplats du rouge de la peau et des tomates, le bleu, le jaune, le jardin au soleil, tout traduit la générosité du propos.

(Si jamais cette image devenait une affiche... )

(Si jamais cette image devenait une affiche... )

C'est une histoire douce qui vous laisse avec le sourire, et l'envie de replonger dans les grandes et somptueuses images de Susumu Fujimoto pour y retrouver le hérisson, le hibou et les autres bestioles, spectateurs comme nous de l'adoption qui se joue.

Le panier à pique-nique
Gabriele Rebagliati & Susumu Fujimoto
Grasset Jeunesse, mai 2015

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Jonas, le requin mécanique

Publié le par Za

J'ai une sainte horreur des films qui font peur, et autant vous l'avouer, je n'ai jamais vu Les dents de la mer. Et je ne le verrai jamais car je tiens à continuer à me baigner dans la mer.

Jonas, le requin mécanique

Malgré une vrai gueule de l'emploi, Jonas est différent. C'est un acteur. Créé par l'homme, propulsé en son temps tout en haut du box office, il coule désormais une retraite paisible dans un parc d'attraction pour monstres vieillissants : vampires, zombies, dragons, martiens et fantômes - tout ce que j'aime... Quelle horreur... Sauf les dragons. Je le signale d'ailleurs en passant à l'auteur : les dragons, c'est pas pareil, faudrait voir à ne pas tout mélanger.
Mais tout lasse et surtout les monstres de pacotille. Jonas doit partir, quitter Monsterland. Sous peine de finir à la casse, il doit retrouver une nature qu'il  ne connait pas, et surtout découvrir sa propre nature de bête désormais libre.

Jonas, le requin mécanique

Dans cette quête, le requin perd beaucoup de lui pour finir par gagner l'essentiel. Et les humains qui l'avaient portés au pinacle de leur peurs délicieuses ne lui sont pas d'un grand secours, bien au contraire. Au long de son odyssée, Jonas croise un échantillon délicieux de l'humanité : des peureux, des méchants, des avides, des lamentables. Et c'est drôle.
A cet égard, je ne saurais trop vous conseiller le septième chapitre, Wanpanig Island. Jamais plus vous ne vous vautrerez sur la plage de la même manière. Jamais. D'autant que le texte, à cet endroit fort instructif, risque aussi de bouleverser considérablement les idées reçues qui sont fatalement les vôtres.

Depuis la nuit des temps, les requins suscitent une frayeur sans égale. Il est vrai que ces animaux tuent chaque année cinq ou six baigneurs imprudents. Mais si l'on considère que durant la même période, l'homme extermine cent millions de requins, force est d'admettre que ces gros poissons sont assez peu rancuniers.

Jonas, le requin mécanique

Toute communauté en proie à des peurs irraisonnées - pléonasme ? - s'organise, cherche le sauveur providentiel. Et Wanpanig Island ne déroge pas à la règle.

Jonas, le requin mécanique

Permettez -moi d'ailleurs de m'arrêter un instant sur ce personnage réjouissant : le Capitaine Grisby qui, comme son nom l'indique, n'est absolument pas un être vénal, non, non. Cet Achab lamentable est le héro de quelques moments de bravoure délicieux jusqu'à une fin spectaculaire et tout à fait morale - comme quoi des fois, on n'a que ce qu'on mérite. Non mais.

A son singe mort-vivant, fait écho le personnage de Loopy, le manchot, sorte de Jiminy Cricket version agaçante/attachante. Le débrouillard des mers est dôté d'une opiniatreté hors du commun, d'une bonne humeur inextinguible.
- Du large, crevard ! J'ai dix ans de cirque dans les nageoires ! Tu n'arriveras jamais à m'atraper !
- Tu vois bien que je ne veux pas te manger, voyons !
- C'est ça, prends-moi pour une huître ! ricana Loopy qui sautillait au-dessus des vagues comme sur un trampoline.
- Je cherche seulement à devenir ton ami, insista Jonas.
- Ha ! Ha ! Ton ami en sandwich, tu veux dire !
Le manchot nargua le requin par une ultime pirouette avant de disparaitre sous l'eau dans un grand éclat de rire.
- Allez, bye bye, tête de thon !

L'écriture de Bertrand Santini, l'auteur du Yark, fait encore une fois mouche. Il embarque d'abord le lecteur dans des aller-retours incessants entre une connivence drôlatique, un second degré jubilatoire, et l'empathie nécessaire à cette métamorphose. Paul Mager accompagne le texte de scènes impitoyables pour les humains - vraiment pas à la fête, parodiant les films de grosses bestioles avec humour, mais lui aussi sait regarder le requin avec sympathie.
Car le voyage de Jonas n'est pas que drôle - ou plutôt grinçant comme les rouages de l'animal déglingué. Il est aussi vraiment émouvant. Au bout du chemin, il y a une nouvelle peau, une autre vie. On n'est pas un monstre en toc toute sa vie, on peut changer, retrouvrer une nature sauvage sans guimauve ni anthropomorphisme. Un requin est un requin. Et rien d'autre.

Jonas, le requin mécanique

Jonas, le requin mécanique
Bertrand Santini & Paul Mager
Grasset jeunesse, octobre 2014

Et puis vous savez quoi ? Si vous voulez vraiment un avis éclairé sur ce roman, vous n'avez qu'à lire la quatrième de couverture ! (avec la Mare aux mots et la Soupe de l'espace)

Jonas, le requin mécanique
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des moutons à la mer

Publié le par Za

Ovni ou ovin ?

Comment résister au jeu de lettres qui glisse d'un mot à l'autre...

des moutons à la mer

Un berger irlandais, bidouilleur fou, à la tête d'un troupeau des plus étranges... Des moutons de toutes races, de toutes allures, précieux, aimés. Mais que de soucis ! Car lorsqu'on aime, on est inquiet. Et les dangers qui guettent les précieuses bestioles sont légions : le loup, la maladie, la tempête...

des moutons à la mer

L'amour que porte le berger à son troupeau, la passion dévorante qu'il met dans son métier de berger le rend infiniment malheureux.

"[...] ce que l'on fait le mieux n'est pas forcément ce qui nous rend heureux."

Quel album étrange ! Etrange et passionnant, parce qu'il pose une question qui interrogera chacun de nous. C'est en se détachant courageusement de ce qui fait son identité, en vendant ses moutons pour changer radicalement de vie que le berger trouvera le bonheur.

des moutons à la mer

Pas de demi-mesure dans ce livre. Il y a d'un côté les créations horlogères du berger, ses moutons mécaniques incroyables, jusqu'au loup perclus de rouages, tout à la fois drôle et effrayant. Et d'un autre côté la mer, les nuages, pour lesquels Einar Turkowski abandonne momentanément le contrôle de ses noirs ultra-léchés et magnifiques, la précision rivetée du trait et laisse aller le souffle.

Ce petit album, par la taille uniquement, affirme, s'il le fallait encore, le talent de cet auteur singulier.

 

Des moutons à la mer

Einar Turkowski

Grasset Jeunesse

février 2014

Deux autres albums d'Einar Turkowski dans le Cabas :

                                                                                Le pêcheur de nuages

                                                                                                                            Fleur de lune

 

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mille petits poucets

Publié le par Za

On peut cheminer avec un texte pour finalement le rencontrer vraiment un jour, le redécouvrir comme si on ne l'avait jamais croisé.

mille petits poucets

J'avais lu déjà ce livre, j'en avais senti toutes les qualités, le texte est brillant, l'image est magnifique, l'ensemble est pétri d'intelligence, édité avec talent et humour.

Et puis l'autre jour, je me suis radinée avec à l'école. Ne me demandez pas pourquoi. Je me suis assise sur ma petite chaise, les minuscules autour. Quand je dis minuscules, c'est une image, ils ont entre 8 et 10 ans et certains sont aussi grands que moi. Mais bon, ils savent encore s'asseoir par terre et écouter des histoire, des romans entiers parfois.

Alors, je leur ai lu Mille petits poucets.

 

Il repartait donc vers les bois dans l'espoir d'y perdre les enfants,

et dans le désespoir d'y parvenir.

 

Le plaisir de lire à haute voix demande du texte une certaine coopération. Tout ne se lit pas avec aisance, tout ne s'écoute pas avec plaisir. Après avoir échoué à partager James et la grosse pêche de Roald Dahl, je me suis méfiée de certains textes comme de la peste. Le plaisir de faire entendre une histoire ne tient que si la langue s'y prête, le talent du lecteur n'étant qu'un facteur parmi d'autres. Rappelons-nous que la lecture silencieuse n'a pas toujours été de mise, qu'il fut des temps où seule existait la lecture à haute voix.

Mais revenons à nos lardons !

 

Car voici : les profondeurs nuiteuses de la forêt luisaient du regard innombrable des fillettes et des garçonnets perdus là par des parents plus habiles (ou plus désespérés) que lui.

 

Mais quel texte, mes enfants, quel texte ! Avec ses airs sages de belle langue d'autrefois, il installe par petites touches l'image d'une famille perpétuellement mouvante ou la filiation se définit au hasard de la rencontre. 

Et si ce n'était que ça... Mais non, encore fallait-il une histoire d'amour. Vous savez que j'ai les histoires d'amour en horreur. Et pourtant celle-ci a failli me tirer des larmes. Expliquez-moi pourquoi, alors que je la trouvais presque convenue à première et silencieuse lecture, en l'entendant de ma propre bouche, elle m'a émue.

 

"D'habitude, ce sont les amoureuses qui vous donnent des enfants. Moi, ce sont les enfants qui m'ont donné une amoureuse !" se dit l'homme doux.

Que les forêts soient si pleines d'enfants et de femmes tendres lui sembla une belle et bonne chose.

 

Et là, c'est moi qui suis tombée amoureuse de ce texte serein, qui avance tranquillement, sans à coup, qui déroule sa petite pelote de douceur jusqu'à la fin en forme de morale moderne.

Ce petit Poucet revu par Yann Autret et Sylvie Serprix est l'exact inverse de l'abandon, il devient un conte optimiste dans lequel tout est possible. Car les petits enfants ne sont plus aussi naïfs qu'avant. Non seulement il est impossible de les perdre mais ils reviennent chaque fois plus nombreux qu'ils n'étaient partis. Et leur père, cet homme si doux, après l'avoir perdu, finit par y trouver son compte.

 

Yann Autret & Sylvie Serprix

Mille petits poucets

Grasset Jeunesse, 2011

Vous pouvez voir ici quelques-unes des belles images de Sylvie Serprix.

 

En passant, que je vous dise, le sommet de la lecture et de l'interprétation a été atteint pour moi un soir d'été par Guillaume Galienne lisant l'Odyssée. J'y ai découvert des mystères et une sensualité que jamais je n'avais associés à ce texte.

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l'étrange réveillon

Publié le par Za

Il y a les albums qu'on attend et les autres.

Celui-là, je l'attendais.

Et de pied ferme.

 

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Arthur est orphelin. Un vrai orphelin, avec des parents vraiment morts, un manoir et des serviteurs pas du tout inquiétants, mais non... Tous identiques les domestiques, à moins que ce ne soit le même qui bouge très vite, je me suis un moment posé la question. Comme une joie n'arrive jamais seule, voilà que se pointe Noël, la jolie fête qu'attendent en trépignant toutes les âmes esseulées. Mais Arthur veut un réveillon. Avec des invités. Et quels plus joyeux convives que les morts ?

 

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Ce qui, chez d'autres, pourrait donner lieu à de larmoyantes mélopées, à de déchirants lamentos devient, sous la plume de Bertrand Santini, une danse macabre malicieuse.

 

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Point de tristesse dans ce réveillon. Ni dans le texte ni dans les images réjouissantes de Lionel Richerand. Rien de glaçant, de triste. Au contraire. Arthur pose un regard candide sur la mort, un regard confiant où jamais ne passe l'ombre de la moindre inquiétude. La mort et la vie à égalité, dans les souliers, sous le sapin.

On aurait évidemment envie de convoquer l'ombre de Tim Burton, tant il semble que les univers crépusculaires lui soient désormais dévolus - et les invités au banquet rappellent les personnages des Noces funèbres. Ceci dit, j'ajouterai bien un cousinage avec le Petit vampire de Joan Sfar et son ami Marcel, rejetons de parents morts-vivants ou morts-morts, sans parler de ce chat désopilant, lointain parent du chien Fantomate...

 

lire-relire-4-7708.JPG

 

Mais ce serait réduire l'Étrange réveillon à un rôle d'album sous influence alors qu'il est bien plus que cela. L'objet d'abord, format à l'italienne, belle couverture noire, titre argenté : la classe, quoi. Puis les images de Lionel Richerand, foisonnantes, jamais effrayantes. La couleur se fait discrète, sourde, juste ce qu'il faut pour souligner l'étrangeté d'un visage, l'incongruité d'un costume. Il faut vraiment prendre le temps d'explorer chaque page, d'y dénicher un détail saugrenu, un regard singulier, un clin d'oeil inattendu. Et puis écouter les mots de Bertrand Santini, l'auteur du Yark, qui nous embarquent loin, loin dans une histoire étonnante, tendrement déjantée, doucement loufdingue, où la mort, la vie se mêlent pour finir par se confondre, tout naturellement.

 

La compagnie des vivants m'attriste et m'accable...

Et pour célébrer Noël,

Je souhaite cette année,

Accueillir des Morts à ma table.

 

Mais les Morts étant morts,

Balbutia le valet,

Ils sont tout à fait injoignables !

 

On peut être mort

Sans avoir disparu !

Répliqua l'enfant

D'une voix douce et morose.

 

Je ne vous dévoilerai pas la fin de l'histoire. Je me la garde. Et je vais la relire, histoire de pouvoir, une fois de plus, refermer ce livre en souriant, attendrie par ce dénouement qui ne dit rien de la Mort,

                     Ni de la vie...

                     Mais quelle importance ?

 

L'étrange réveillon

Bertrand Santini & Lionel Richerand

Grasset Jeunesse

octobre 2012

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